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Chronique : Retour à Saïdia : Des odeurs du terroir insoupçonnées…

mardi 25 septembre 2012

Chronique publiée sur le portail veille.ma avec l’aimable autorisation de son auteur Mohamed Benabid que je remercie personnellement d’avoir rédigée. (Mounir Rochdi)

par Mohamed Benabid
Né en 1968 à Casablanca, Mohamed Benabid, rédacteur en chef de L’Economiste est lauréat de l’Ecole de journalisme de Strasbourg. En 1996, il se fera remarquer pour ses investigations sur la campagne d’assainissement, notamment la célèbre affaire Benabderrazik, pharmacien emprisonné dans l’affaire dite de la gammaglobuline.
La même année il sera également le premier journaliste marocain à réaliser une enquête bien documentée sur le scandale de l’amiante au Maroc. Il est éditorialiste et l’un des membres fondateurs de l’Association marocaine d’intelligence économique (AMIE).

Le voyage à l’Oriental est pour moi un éternel retour aux sources. C’est l’un des déplacements que je refuse rarement. Je me l’autorise, même si les plannings tordus des vols de la RAM entre Casa et Oujda font tout pour me décourager, même si mon cahier des charges professionnel
me laisse peu de temps pour pareilles escapades, et même si l’autoroute, avec plus de 6 heures de trajet, reste une option kamikaze y compris avec la perspective d’éventuelles virées barbecue à Oued Amlil.

Comment pourrais-je refuser ce pèlerinage, moi qui ressent souvent le besoin de reprogrammer mes codes sociaux, de corriger quelques bugs, comme celui de ma naissance à Casablanca, une regrettable infidélité généalogique vis-à-vis de l’Oriental, lorsque la maman est originaire
de Taourirt, le papa des plaines des Triffas. Comment pourrais-je me désintéresser d’une région qui a imprégné précocement mon inconscient, forgé ma personnalité, ainsi qu’une partie de mon vocabulaire, à coup de « khringos, douros, zalamettes, zroudiya, Oueh, roueh ». Un patrimoine enfoui, dilué au bout de plus de 40 ans d’exil au « Gharb ». Lorsque je retrouve mon Oriental, ce sont des souvenirs, des odeurs, des couleurs que j’essaye continuellement de dépoussiérer. C’est probablement le seul endroit du pays où l’exotisme du prénom de votre père, Chahboune,
ne va pas provoquer des rires étouffés, celui de votre grand-père, Boumediene, des regards méfiants, entretenus par une inculture sociétale, historique, doublée de raccourcis politiques...

En ce mois de juillet, c’est donc allégrement que je me dirige vers les terres de mes ancêtres. Après la disparition de mes grands-parents, le rat des villes que je suis devenu ne supporte plus de devoir dealer avec les rancunes et les susceptibilités des survivants de la « tribu ». C’est donc pour un territoire neutre, un hôtel de Saïdia, que j’opte.

Le Saïdia d’aujourd’hui n’a bien évidemment plus rien à avoir avec les paysages bucoliques de mon enfance. C’est devenu un laboratoire où le pays expérimente, avec plus ou moins de succès, ses nouvelles ambitions touristiques, le fameux plan Azur. Je n’aime pas particulièrement le clinquant et le superficiel, et je pense que c’est dans notre tempérament, nous les gens de l’Oriental, mais je ne peux pas pour autant me permettre de renier à la région le désir d’embrasser la modernité, y compris si c’est au prix d’un urbanisme en béton armé.

Formalités

En y arrivant, je traverse un paysage familier et inquiétant à la fois dans cette ville à qui je réfute pour l’heure l’appellation de « station ». La plupart des tour-operators vous le confirmeront : trois hôtels ne font pas une station. Dans un empressement à faire dans la démesure, tout y a été construit vite, trop vite. Ici et là, des chantiers de voirie pour tenter de corriger les couacs d’un assainissement raté. Sur plusieurs hectares aussi, un alignement de projets immobiliers inachevés donne de la destination une impression de ville fantôme. Certains immeubles semblent, faute d’entretien, se désagréger. Nous sommes pourtant à la mi-juillet, en principe au plus fort de la saison estivale. Une impression que me confirmera ma promenade du soir et les rares lumières allumées des résidences touristiques. Par endroits, des marais et des nuages de moustiques semblent donner raison aux associations écologiques locales qui s’inquiètent du massacre des eucalyptus, une erreur monumentale à leurs yeux, en raison du rôle d’assécheur de terrain que ces arbres jouent habituellement.

Après avoir ruminé mes introspections métaphysiques, je finis par retrouver mon hôtel. Nous sommes en début de soirée.

Epuisé par le trajet, je m’attends à boucler mon check-in en 5 minutes. Après tout, votre modeste serviteur a accumulé au bout de 18 ans de carrière suffisamment de voyages et d’expérience sur les standards de l’hôtellerie 5 étoiles.

Le réceptionniste m’invite à rejoindre un siège « le temps de quelques formalités », dit-il. Je m’attends à une opération routinière, comme de me ramener les formulaires
d’enregistrement, et même avec un peu de chance, de me servir un verre de thé... Peine perdue. 10, 15, 30 minutes, toujours rien. Je repointe à la réception. Mon vis-à-vis m’apprend que « la chambre n’est pas encore faite ». « Pas faite ? » l’interrompais-je brusquement. « Il est pourtant 19h30 ? » « Vous savez monsieur, certains clients sont incorrigibles et refusent de libérer les chambres dans les délais... », poursuit mon comité d’accueil. Sans pour autant me convaincre.

Le ton est donné et je ne me faits pas beaucoup d’illusion sur ce premier contact avec ce qui m’apparaîtra à l’issue de mon séjour comme une gestion et organisation hôtelière cafouilleuse. Finalement, ma clef me sera remise au bout d’une heure d’attente. Le lendemain, j’allais
découvrir en croisant un voyagiste marocain sur place qu’il y a bien pire. « En dépit des réservations, certains de mes clients attendent souvent jusqu’à 23 heures », me confiera-t-il.

Et puis il y a eu d’autres bugs. Certains pas graves, juste agaçants. Par exemple, aucun dispositif de transport navette n’est prévu entre les hôtels et la marina. Dans les chambres, les serviettes sont mouillées avant même leur première utilisation, et pas le moindre indice d’un catalogue touristique pour présenter une région qui ne manque pourtant pas d’atouts.

Alors que Oujda abritait au même moment le festival du rai, un sacré exploit à l’actif de l’équipe Oujda Arts, il n’y avait ni bureau de renseignement, ni kits distribués aux visiteurs pour marketer un rendez-vous qui a pourtant attiré des stars internationales. Rien non plus pour offrir un bain de patrimoine à une manne touristique internationale désoeuvrée, qui se contentera du « All inclusive », du diktat du bronzer-idiot et qui sera évacuée de Saïdia vers Angad comme dans un pont aérien. Sans la moindre immersion dans l’arrière-pays. Même pas un petit mot pour dire que mon petit village d’Ahfir est peut-être le dernier endroit au monde où l’on peut encore boire un café turc pour moins de deux dirhams, ni pour signaler que la région abrite un patrimoine archéologique universel, la grotte du pigeon où a vécu entre 40.000 et 100.000 ans l’un des premiers hommes de l’humanité, celui de Taforalt.

Autre endroit, autres insuffisances… la salle de remise en forme-Spa présentée comme l’un « des joyaux de la région » réunit le strict minimum en matière d’entretien
du corps. Dans la partie fitness, un rameur, mais seulement trois machines de musculation. Un dispositif insuffisant pour réaliser un circuit complet d’entraînement. L’appareil de cardio-training, marque Technogym, en principe ce qu’il y a de mieux, est en panne. La responsable qui en a la charge tente néanmoins de se justifier. « L’appareil est sous garantie et cela fait des mois que nous réclamons l’arrivée du fournisseur à Casablanca ». Encore un détail, un déficit de service et de résultats qui se perdent dans les méandres de la bureaucratie hôtelière.

Dans la partie Spa, il faut composer avec le bruit du bavardage d’employées nonchalantes qui ne se gênent aucunement pour réguler les débits de leurs voix. Raté pour la quiétude et la méditation..

Le lendemain, je prévois de réaliser un vieux fantasme qui me tient à coeur : me baigner à Cap de l’eau (Cabo yaoua comme disent les gens de chez nous) que je n’ai pas visité depuis près de 15 ans. Une manière de revivre des souvenirs d’enfance. A l’ouest de l’embouchure de Moulouya, ce petit village de pêche à une dizaine de kilomètres de Saïdia (mais bizarrement
rattaché administrativement à Nador à 65 km !) a été pendant des années mal loti côté infrastructures. Je garde le souvenir des frayeurs d’antan, lorsque embarqué
dans la R12 familiale, sur la route accidentée par Madagh, nous devions mes frères et moi retenir notre souffle, respecter un silence quasi religieux pour ne pas déconcentrer le père. Entre-temps, le progrès
est passé par là. Le Maroc a réussi le pari du désenclavement en l’inscrivant sur le tracé de la rocade Méditerranée qui la dessert désormais.

Tout au long des 22 km qui séparent Saïdia de Cap de l’eau, des plages sauvages de rêve qui feraient pâlir de jalousie Copacabana. Partout des parkings improvisés
ici et là avec droit de passages et recettes potentielles pour les communes locales. Les élus ne manquent pas d’imagination. Ils ont juste oublié de penser d’aménager des toilettes et douches pour les estivants.

J’arrive enfin à ma destination. Direction le port, je dois faire vite pour pouvoir
respecter un rendez-vous ultérieur à Oujda.

J’escalade la falaise en empruntant des escaliers creusés dans la roche pour me rendre du côté de l’endroit dit Lalla Jnada, là où les paysages sont bluffants. Au loin, las Islas Chafarinas, les îles Jaâfarines, dernières enclaves espagnoles locales, me narguent sur une mer d’huile et sous un ciel étincelant. Je longe le phare, contourne une caserne de la Marine royale, marche une centaine de mètres pour retrouver quelques émotions familiales du temps jadis et plonger au bas de la falaise. Et là c’est l’horreur… Des montagnes d’immondices jonchent le sol dans un spectacle quasi lunaire. Une partie du site est devenue un dépotoir à ciel ouvert. Je me retiens pour ne pas hurler de colère et de déception à la fois.

Pour couronner le tout, quelqu’un a visiblement tenté d’incinérer un coin de la décharge, ce qui ne fait qu’amplifier le désastre à travers des fumées nauséabondes et asphyxiantes. Quelques pêcheurs irréductibles, ainsi qu’un troupeau de moutons et de chèvres broutant ces ordures (le comble) ont tout de même pris le risque de braver cette catastrophe écologique.

Je n’ai pas eu ce courage. Je prends en revanche la peine d’immortaliser la scène avec un appareil photo. Cette fois-ci c’est mon côté journaliste qui prend le dessus : je me jure de dénoncer cette situation.

Déçu, je reprends le chemin du retour. Comme quoi, il vaut mieux parfois refouler ses souvenirs d’enfance. Je retrouve mon hôtel à 16 heures. La chambre n’est pas faite bien évidemment. Toujours pas l’ombre d’une femme de ménage. Enfin si, j’en croise une dans le couloir. Je m’autorise un sermonnage : « Madame, je trouve anormal que la chambre ne soit pas faite à cette heure ». Pas déconcertée pour un sou, mon interlocutrice, qui prend ma remarque pour une agression, se défend
non sans une certaine véhémence. « Si vous avez une réclamation, adressez-
vous aux responsables. Je travaille à mon rythme ». A son rythme... Tout est dit. Peut-être que l’horloge de l’Oriental, ou du moins certains de ses cadrans, n’ont pas été remontés. Ou peut-être que c’est moi, qui crois encore aux vertus du « nif » local, qui est déconnecté.